Elsa Escaffre
Créations littéraires et plastiques
[ textes, articles, critiques ]
Gueule de havrais (2019)
Avec l’illustratrice KLR, Édition Association Superlove
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Jeux de construction
Ceux-là sont certainement restés fascinés par les tours de Kapla, par les Lego multicolores déversés sur le tapis du salon ou dans l’herbe douce des îlots de verdure pavillonnaires. En grandissant, ils ont élargit leur terrain de jeu. Adapté la mesure des formes à leurs mains bâtisseuses. Larges, épaisses, des pognes tannées par les matières brutes : bois, béton, briques.
Ils ont cherché la perspective, les points de fuite. Laissé l’aplat bleu de la mer fendre des meurtrières entre les verticales de béton. Ils ont courbé l’espace, fait se plier l’œil à la cambrure blanche d’un volcan impossible.
#geometriedanslespace
#oscarniemeyer
#augusteperret
La prémonition de l'Y & Pédalier elliptique (2016)
Publiés au sein de la revue Tarpex, La prémonition de l’Y & Pédalier elliptique font état d’une forme d’errance mentale. En proie au doute, ces deux théories sauvages s’arriment, fébriles, à l’art de la digression.
Extrait
À la favorite des indécis,
À cette figure de proue des galériens, la tête prise par une gîte incessante,
À cette formule gonflable, enclenchée par réflexe.
, au cas où.
Voyageurs dans le temps, les usagers de l’au cas où, passent en état de conscience paradoxal à la moindre occasion du choix.
Au chevauchement des niveaux de réalité, ils ont le plaisir tortueux du doute, l’attraction facile aux points de fuite.

Précis de conversation particulière (2016)
Notes, analogies, remarques linguistiques et micro-fictions proposent une vision à la fois critique, amusée, tendre et cynique des relations humaines en matière de sexe et d’amour.
Extrait
6. AVOIR LA CUISSE LÉGÈRE N’OBJECTE EN RIEN D’AVOIR LE CRÂNE LOURD.
14. IL FAUT TOUT DE MÊME RECONNAÎTRE QU’ « ÉRECTIONS, PIÈGE À CONS ! » EST UN BIEN MEILLEUR SLOGAN QUE SON PRÉDÉCESSEUR.
49. IL AIMAIT VOIR LES MODÈLES RÉDUITS DE BATEAU VOGUANT DANS LE BASSIN DU SQUARE COMME UNE MULTITUDE DE MEMBRES BANDÉS AUXQUELS ON AURAIT HISSÉ LA GRAND VOILE.
La pensée scotch & Un trou (2016)
Parlante est une revue d’expérimentation tournée vers la poésie, la parole, conçue par les étudiants de l’École nationale supérieure des beaux-arts de Lyon. Ce projet, mené par Alexandre Balgiu, Patrick Beurard-Valdoye, Jérôme Mauche, témoigne de l’extrême vivacité des formes littéraires et de leur hybridation. Un trou et La pensée scotch
Extrait
Rien ne se passe sans qu’elle n’intervienne, s’insinue. Elle glisse entre deux mots, se cabre en lapsus. Elle reste manifeste. Même si camouflée dans un sourire, se plie en un pincement de lèvres subliminal. Elle est au croisement d’autres, une présence dans le coin, à chaque détours. Rien ne lui échappe. Elle trouvera toujours un arbre derrière lequel se dissimuler, duquel surgir, à la moindre défaillance du système qui cherche à la taire. Elle se rue hors de la case trop étroite dans laquelle elle ne tient pas en place. Revient au galop, éclater en pleine envolée lyrique, au milieu d’une tentative de rêverie, à l’amorce d’une douceur malhabile, raturer un trait d’esprit. Son volume est dense, la pression continue contre les bords du fragile contenant fabriqué pour la réprimer.

Baïkal Sud, Mariage pluvieux et Distraction mineure (2017)
Extraits des Contes Solubles, ces trois courts textes s’articulent autour de la relation amoureuse, du désir et de la variabilité des sentiments. Au travers de micro-contes mettant en scène différents personnages dysfonctionnels se lit un rapport à la mémoire, à l’apparence des souvenirs, à la fiabilité du réel.
Extrait
Depuis le jour de la naissance de sa petite-fille, une grand-mère taciturne travaille à entrelacer fils de laine, de soie, de coton, crin de chevaux et fibres multicolores.
L’ouvrage de dentelle, démesurément long et étrangement chamarré, exécuté avec une régularité et une persistance frôlant l’aliénation, vaut à la vieille femme d’être soupçonnée victime d’une forme tardive et inédite de troubles du comportement.
Au jour de l’annonce du mariage de la jeune fille, à l’unité de soin dans laquelle elle a été placée depuis quelques mois, la grand-mère coupe puis noue le dernier fil : la robe est prête.

Morphing (2015)
Morphing est né d’une carte blanche proposée par l’Opéra de Rouen dans le cadre de l’enregistrement d’une série de concerts donnés par le Chœur de chambre Accentus (ensemble vocal français). Il est publié dans le livret du disque Mantovani voices, édité chez Naïve.
Extrait
Il s’oubliera, peu à peu, quand les voix montent d’un point à l’autre, quand elles l’emportent sur la diction, les mots préalables.
Ne reste que des intuitions, des amorces toutes aussi fidèles que les plus précises retranscriptions. C’est peut être ce qu’il faut y entendre.

© Studio Courte Échelle
Syllogomanie
Introduction à l’exposition Musique de Chambre, Studio Courte Échelle
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On pourrait croire que pousser les murs pour faire de la place aux idées, aux kilos de papier entassés, aux câbles récupérés, aux machines à réparer, est le fantasme ultimes des victimes du syndrome de Diogène, ces accumulateurs d’objets et déchets incapables d’envoyer valser les restes au tri sélectif. Leurs appartements encombrés, gonflés de l’intérieur passent alors d’espaces privés à lieux privés d’espace. Les marges de manœuvres s’y réduisent comme peaux de chagrin. Les trajets minimum, cuisine—salle de bain—salon, prennent des allures de montagnes russes. Il faut escalader le trop-plein, enjamber les tas, marcher sur les piles comme on passe de pierre en pierre pour traverser la rivière. L’appartement se mute en terrain de jeu, ou de chasse, ou théâtre d’opérations invisibles. Tout est bouleversé, littéralement : le dessus est dessous, les arrêtes s’arrondissent et le plancher se relève de plusieurs centimètres. L’espace augmente de l’intérieur, le corps cherche des appuis, s’invente un parcours. Alors s’entrouvrent d’autres perspectives. Encore faut-il se faire à la folie douce de ces nouvelles coordonnées.
Mais peut-être que Diogène n’y est pour rien, peut-être qu’il suffit de prendre d’autres mesures pour repenser le volume quotidien, que les lieux s’accordent enfin à la taille des pensées et que l’ensemble sonne juste. Alors on pourrait croire aux petites musiques de nuit qui font vibrer la tête de l’idée folle de pousser les murs.

© Christelle Geronimi, Vallée d’Asco
Un œil ouvert, un œil fermé
Sur le travail photographique de Christelle Geronimi
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Un œil ouvert et un œil fermé, c’est ainsi que se regarde le travail de Christelle Geronimi. Cet exercice mental permet d’éprouver les images de la photographe en ce qu’elles comptent de dualité.
L’œil est grand ouvert sur ces paysages, ou plutôt ces étendues qui ne savent pas être retenues par le cadre. Les dunes, les falaises, les collines s’échappent aux bords de l’image. Un homme seul, posté dans le paysage, semble tout à la fois admirer la nature environnante et laisser la conscience de sa propre fragilité s’infiltrer.Cette infime présence humaine oscille entre contemplation silencieuse et surgissement de ressentis plus opaques.
C’est alors que l’œil fermé relaie la pensée en la faisant plisser vers l’intérieur. Les souvenirs de paysages gardés en mé- moire traversent l’oubli pour venir affleurer la paupière baissée du rêveur. Dans ce temps suspendu, les repères familiers enfouis transparaissent en filigrane. Les émotions tapies, les sentiments fragmentés reviennent s’accrocher à l’esprit égaré.
Les photographies de Christelle Geronimi sont de brèves haltes dans la traversée d’âpres territoires et leur persistance double le paysage auquel fait face celui qui regarde, l’œil à présent mi-clos.
Exposition Paysages d’enfance, Centre Méditerrannéen de la Photographie

© Simon Leroux
Passage(s) en force
Co création avec Julia Leredde (Cie Ironie du Corps), présentation du spectacle éponyme.
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Un carrefour. Lieu de croisements, de rencontres éphémères. Et pourtant. Jeux de regards en coin, aux coins, d’angles morts et de coups d’œil arrière. Piétons, cyclistes et véhicules activent leur vision périphérique pour éviter la collision. Alors, au détour des rues, les vies se côtoient, se frôlent pour finalement s’échapper et poursuivre leurs trajectoires.
À la jonction des voies de circulation, d’autres choix se proposent en filigrane : chemins à emprunter, parcours à affirmer. Légères bifurcations ou grands virages, c’est au gré des rencontres que les directions changent. Les envies s’y dessinent, certaines arrivent à destination, d’autres échouent sur le bas-côté. Parce qu’il n’est pas si simple de toucher au but, parce que l’univers résiste s’immisce la tentation de passer en force. S’imposer, coûte que coûte, envers et contre tout.
Ou faire différemment. Danser dans un carrefour.
Le corps mis à l’épreuve esquive les postures obligatoires, cherche des appuis, autour, dans la rue. Se permet de prendre place, face aux réactions des passants, des voitures. Il s’adapte et feinte, sans empêcher. La danse détourne les usages et s’en amuse. Elle invite à la bienveillance là où celle-ci n’est pas évidente.

Soufflez. FORT !
Article dans la revue 2017 & plus, n° 14, Juin 2017, Ville du Havre
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Le Syndrome de Pontier, Pol Bury
Quatrième de couverture de l’ouvrage, éditions Allia
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Le Syndrome de Pontier ou l’Inspiration Surveillée est un KO-debout dans le combat opposant artistes et détenteurs du pouvoir artistique. Pol Bury relève les paradoxes, les logiques à double-sens, les renversements qui constituent le marché de l’art. En prenant à témoin le duel Cézanne-Pontier, il dénoue avec humour et précision les relations viciées, et persistantes, entre ceux qui créent et ceux qui ont le privilège d’évaluer le produit créé. Système de troc, calcul de potentiel marchand sur la base de dogmes poussiéreux, logiques du contre, de la feinte, en somme tout un panel de jeux de stratégie et d’adresse, qui visent à faire monter la Cote de l’un et à faire tomber l’autre. Il s’agit d’estimer la valeur en se défaussant des qualités artistiques pour flatter la « valeur vénale » des œuvres. Pol Bury produit là un texte court, vif, espiègle, qui relève les incohérences d’un milieu et remet les compteurs à zéro.
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